Etude #10 : Le développement des pays fragiles et la reconstruction post-conflit

Article IdealDev Mai 2023:

D’après l’OCDE, la fragilité est « la conjonction d’une exposition à des risques et d’une capacité insuffisante de l’Etat, d’un système ou d’une communauté à gérer, absorber ou atténuer ces risques ». Selon son dernier rapport, cette fragilité concerne un quart de la population mondiale et trois quart de celle qui subit déjà l’extrême pauvreté, soit 60 contextes fragiles. Complexe et multidimensionnelle, elle se caractérise et s’évalue selon des aspects économiques, environnementaux, politiques, sécuritaires, sociaux et humains[1]. Il est possible de visualiser les données détaillées pour chacun des contextes sur la plateforme de l’OCDE[2]. Par exemple, les conflits, qu’ils soient très, peu, ou pas violents, fragilisent les Etats qui nécessitent une reconstruction post-conflit.

Or, ces situations augmentent la vulnérabilité à l’insécurité alimentaire, à l’évolution démographique, aux inégalités ou encore aux risques climatiques et constituent alors des obstacles au développement et à la lutte contre la pauvreté [3]. La menace est d’autant plus fort dans le contexte actuel de « multicrise » avec notamment l’aggravation des dérèglements climatiques, la Covid-19 ou encore l’invasion de la Russie par l’Ukraine.

La communauté internationale est de plus en plus impliquée, soit dans la résolution de ces conflits, soit dans le renforcement des pays en contexte fragile. Par exemple, Il y a de nombreux programmes nationaux et régionaux au Sahel, mais aussi  de grands programmes nationaux comme celui pour la reconstruction au Mozambique après la signature des accords de paix, ou au Rwanda après le génocide ou le programme CARERE/SEILA au Cambodge. IDEALDEV[4] fait partie des acteurs compétents et expérimentés pour apporter l’accompagnement nécessaire pour mener à bien ce genre de programmes complexes.

Le projet de développement CARERE, financé en grande partie par le PNUD et exécuté par l’UNOPS, a vu le jour en 1992, à l’issue de la signature des accords de paix du Cambodge en 1991 et du retour de 2 millions de réfugiés des camps de Thaïlande. Il a duré une dizaine d’année en visant à réhabiliter et régénérer les régions du Cambodge pour promouvoir la paix et réduire la pauvreté. Il a été complété par la mise en place d’un programme de décentralisation de l’Etat (SEILA) toujours en œuvre au Cambodge aujourd’hui sous d’autres formes [5].

Dans sa première phase, le projet CARERE, a aidéà la reconstruction du capital physique et humain après des décennies de conflit armée, notamment par la réinsertion des millions de réfugiés dans leur pays d’origine. Cela s’est fait par le biais d’un ensemble de mesures à impact rapide, qui portaient d’abord sur l’habitat, puis sur l’agriculture (kits semences, engrais, outils, irrigation) qui permettaient de relancer l’activité en milieu rural. Ces programmes étaient accompagnés par des (re)constructions de routes, de dispensaires, d’écoles, …

Après quelques années, le projet CARERE s’est orienté vers un soutien au développement économique et humain à plus long terme à travers le programme SEILA en 1996. D’une part, SEILA visait à renforcer les potentiels de développement existant par la remise en place des structures de l’Etat (gouvernance, préfecture, service d’accompagnement, etc.), et aussi à décentraliser ces services. Cela s’est fait à travers des systèmes de planification, de financement et de gestion décentralisés et participatifs dans  chaque région et la production de plans à moyen terme, sur plusieurs années, dans le but d’une amélioration et d’un développement socio-économique. Dans le même temps, la mise en place d’assemblées locales, régionales a permis de discuter de ces plans de développement et les mettre en œuvre.

CARERE a accompagné un renforcement des capacités mais aussi des ressources d’investissement. Un système de financement en cascade a été mis en place pour permettre au gouvernement central de réallouer des fonds de développement aux régions et de pouvoir faire les investissements nécessaires, que ce soit dans l’éducation ou encore la santé, mais aussi des infrastructures de production agricole, avec notamment beaucoup de périmètres irrigués.

De nombreux projets de développement ont alors pu voir le jour et visant, à l’aide d’approches innovantes, à améliorer la sécurité alimentaire et celle des revenus des ménages pauvres en les aidant à accroître et à maintenir leur activité agricole. Des impacts positifs ont pu être évalués à l’issu du projet, notamment une augmentation de la sécurité alimentaire et des revenus et un ’accès à des services techniques pour les populations rurales[6].

CARERE a beaucoup marqué la reconstruction au Cambodge où le programme SEILA est toujours en cours aujourd’hui. Depuis, le projet a été réadapté pour être appliqué à d’autres pays, que ce soit en Afrique ou en Amérique Latine. A partir des différentes expériences dans le monde depuis une quarantaine d’années dans la reconstruction et le renforcement de pays en situation post-conflit et/ou fragile, se détachent alors petit à petit des méthodes d’intervention qui ont été peaufinées dans le temps avec l’expérience.

Premièrement, il est essentiel de travailler sur le maintien d’une consultation parmi toutes les parties depuis le gouvernement jusqu’à la société civile, aux villages, aux organisations paysannes, ainsi qu’avec les ONG et les partenaires de développement d’un pays lors de la formulation des activités, mais aussi pour leur mise en œuvre et leur suivi.

Deuxièmement, les solutions apportées doivent être pratiques et flexibles, pour être d’une part, à fort impact immédiat, et d’autre part, adaptées au changement de contexte rapide du pays dans le cadre de la reconstruction.

Enfin, il s’agit d’apporter des solutions souples et douces pour la résolution des conflits dans ces programmes de développement, que ce soit au niveau local dans les communautés ou au niveau national ou régional, pour que petit à petit, les différentes fractions de la société réapprennent à vivre ensemble sur le long terme.

Mai 2023

Par Benoit Thierry – Directeur IdealDev, agence internationale en appui au développement rural et aux collectivités locales, 75010 Paris, https://idealdev.org/

Et Lydia Ailane, Consultante, Ingénieure agro-développement international ISTOM, 69000 Lyon, France


[1] OECD. 2023. Etats de Fragilité 2022. https://www.oecd.org/fr/developpement/etats-de-fragilite-261b19f4-fr.htm

[2] OECD. 2023. States of fragility. http://www3.compareyourcountry.org/states-of-fragility

[3] Banque Mondiale. 2022. Fragilités, conflits et violences. https://www.banquemondiale.org/fr/topic/fragilityconflictviolence/overview#1

[4] Site internet de IDEALDEV, Agence de Développement Rural International et Territorial. https://idealdev.org/

[5] Site internet de CARERE et SEILA https://carere.azurewebsites.net/

[6] IFAD. 2015. IFAD and Cambodia 2002-2015. https://www.yumpu.com/en/document/view/55599500/ifad-cambodia-1992-2015

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