Le manque de plans de développement à long terme constitue un problème récurrent dans les domaines socio-économique et agricole, touchant aussi bien l’Europe que l’Afrique ou l’Asie. L’Union africaine avait notamment alerté sur cette carence. Alors que la crise des prix agricoles de 2008 a ravivé l’intérêt pour ces questions, notamment à la Banque mondiale, l’initiative rwandaise remonte à une période antérieure. Vers 2003-2005, le gouvernement rwandais a manifesté sa volonté de lancer des stratégies politiques agricoles de longue durée.

Le Rwanda a entrepris une démarche spécifique en élaborant sa propre politique agricole de manière autonome, définissant les orientations souhaitées. Une fois ce travail achevé, le gouvernement a sollicité l’appui du Fonds international de développement agricole (FIDA) vers 2003-2004 pour élaborer la stratégie de mise en œuvre de cette politique. Ce processus, qui distingue généralement la politique, la stratégie et le plan d’action, a été facilité par la demande proactive du gouvernement et par le dynamisme d’un jeune ministre de l’agriculture ouvert à la consultation. Ce dernier visait à aligner la politique nationale sur les besoins de la base, un domaine dans lequel le FIDA possédait une expertise reconnue.

Un financement conjoint du FIDA et de DFID (l’agence britannique de développement international) a permis de lancer une série d’études et d’enquêtes visant à construire le PSTA. Ce programme stratégique de transformation de l’agriculture a été conçu pour être en phase avec la nouvelle politique agricole du pays. L’exercice, qui a duré environ un an (2004), s’est déroulé positivement, grâce à la clarté des orientations générales et à la prise en compte des demandes des agriculteurs via les études et ateliers menés.

L’analyse réalisée dans le cadre du PSTA, notamment à travers l’utilisation de matrices croisant divers sous-secteurs agricoles (allant du maïs, du riz, à l’élevage, aux produits laitiers, aux fruits et légumes), a révélé une concentration significative des investissements (gouvernementaux et des bailleurs de fonds) sur seulement quelques domaines, laissant d’autres sous-secteurs largement négligés. Le PSTA a permis de mettre en lumière ces disparités et d’établir des priorités, identifiant les secteurs nécessitant un développement approfondi. C’est à la suite de cette analyse que la culture du riz s’est fortement développée au Rwanda. Le pays bénéficiait d’un avantage comparatif, car l’importation de riz depuis les ports côtiers (comme Mombasa ou Dar Es Salaam, à plus de 1500 km) engendrait des coûts de transport élevés. Développer la production locale dans les bas-fonds a considérablement réduit ces coûts, entraînant une rentabilité qui a explosé.

Parallèlement, la densité de population croissante avait rendu nécessaire l’aménagement des terres. De nombreuses collines ont été aménagées en terrasses (progressives ou radicales), les parties hautes étant réservées au bois et les terrasses utilisées pour les cultures. Le PSTA a également joué un rôle important en régulant et en renforçant la primauté des petits agriculteurs, s’opposant à certaines tendances visant à l’établissement de grands ranchs. Affirmer la prépondérance de la petite agriculture familiale et démontrer qu’il est possible de vivre, voire de s’enrichir, de l’agriculture sur de petites surfaces a constitué un acquismajeur du PSTA.

Ce plan a ensuite été adopté par le gouvernement et l’Assemblée nationale avant d’être mis en œuvre. Dès 2005, le FIDA a préparé un premier programme d’appui, suivi par de nombreux autres bailleurs de fonds, tels que l’Union européenne et la Banque mondiale, au cours des années et décennies suivantes.

Un aspect particulièrement remarquable du PSTA est sa longévité exceptionnelle. Initialement conçu pour une durée de 5 ans, ce plan existe toujours deux décennies après. Il a été repris et adapté régulièrement par le gouvernement sous les dénominations de PSTA 2, PSTA 3, et ainsi de suite, intégrant à chaque itération de nouvelles complexités ou orientations. Le Rwanda en est désormais au PSTA 5, adopté en 2025, marquant le 20e anniversaire du plan initial. Cette continuité politique sur près d’une génération est un élément crucial et est devenu un modèle auprès des autres pays. 

Au-delà de ses succès internes, le PSTA a eu un impact significatif à l’échelle continentale. Il a été adopté par l’Union africaine comme le premier plan CAADP (Comprehensive Africa Agriculture Development Programme). L’Union africaine, qui encourage l’élaboration de politiques et stratégies à long terme à travers le programme CAADP, rencontrait initialement peu de réponses de la part des pays membres. Le Rwanda a été le premier à présenter son plan, qui a été approuvé par les instances de l’Union africaine, devenant ainsi le premier CAADP d’Afrique. Cela a représenté une source de grande fierté pour le Rwanda, son ministère et le FIDA. Par la suite, de nombreux autres plans CAADP ont été développés en Afrique. Les accords de Maputo ont ultérieurement préconisé l’allocation de 10 % du budget national à l’agriculture. À ce jour, le Rwanda figure parmi les rares pays à avoir atteint cet objectif de 10 % du budget national consacré à l’agriculture.

Bien que la planification à long terme ait démontré son efficacité en Asie depuis longtemps (en Inde, Malaisie, Vietnam), elle se met progressivement en place en Afrique. Aujourd’hui, un nombre croissant de pays africains, comme l’Éthiopie, le Sénégal ou Madagascar (dont l’initiative a également été couronnée de succès), adoptent des stratégies similaires, parfois sous d’autres appellations telles que « Sénégal émergent ».

L’expérience du Programme Stratégique de Transformation de l’Agriculture (PSTA) au Rwanda constitue un exemple pionnier et inspirant de planification à long terme dans le secteur agricole en Afrique. Initié par la volonté du gouvernement et soutenu par des partenaires internationaux, le PSTA a permis une analyse rigoureuse des besoins et des potentiels, conduisant à des développements concrets tels que l’essor de la riziculture et l’aménagement des terres. Sa capacité à s’adapter et à évoluer sur vingt ans, sa contribution à la primauté de la petite agriculture, et son influence en tant que premier CAADP d’Afrique, couplée à l’atteinte de l’objectif de 10 % du budget national pour l’agriculture, témoignent de sa robustesse et de son impact durable. Le PSTA illustre qu’une vision claire, une planification structurée et un engagement politique sur la durée sont des facteurs essentiels pour transformer durablement l’agriculture et améliorer les conditions socio-économiques des populations. Son succès offre de précieuses leçons pour d’autres nations africaines s’engageant sur la voie du développement agricole, notamment au vu de la croissance démographique et du changement climatique en cours sur le continent.

Nathan Bohmert et Benoit Thierry – Juin 2025

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