Dans le paysage complexe du développement international, l’efficacité des projets sur le terrain et leurs impacts sont des conditions sine qua non pour engendrer un changement positif et durable. L’histoire inspirante du projet Mandraré[1] à Madagascar, soutenu par le Fonds International de Développement Agricole (FIDA) entre 1996 et 2008, illustre de manière éloquente le potentiel transformateur d’une initiative de développement menée avec succès dans une zone isolée et difficile. Ce projet, récompensé lors de l’exposition universelle de Milan en 2015, offre des enseignements précieux sur l’impact concret des interventions bien conçues et l’importance cruciale de la gestion des savoirs dans leur pérennisation et leur dissémination locale et internationale.

Le sud de Madagascar, une région aride souvent comparée au Sahel et historiquement sujette à des périodes de famine sévère, localement appelées « kéré »[2],et impactant de nombreuses populations, constituait le contexte de ce projet ambitieux. Le potentiel irrigable du Haut Bassin du Mandraré et de son petit fleuve était connu de longue date. Les sols fertiles des vallées se prêtaient à la riziculture irriguée, pratiquée par 60 % des habitants. Bien que des aménagements hydroagricoles existaient depuis l’époque coloniale et que quelques projets de réhabilitation avaient eu lieu après l’indépendance, le potentiel n’était pas pleinement exploité en raison de la dégradation des infrastructures et du manque d’entretien. L’enclavement de la zone et les sécheresses successives avaient fortement réduit le potentiel productif.

Face à cette vulnérabilité, le Projet du Haut Bassin du Mandraré[3] (PHBM) s’est installé en 1996 avec l’objectif principal d’augmenter la production rizicole par l’aménagement et la réhabilitation de périmètres irrigués. Le projet a permis d’aménager l’irrigation à partir du fleuve Mandraré, touchant une superficie de 5220 hectares contre 1107 hectares initialement, soit près de cinq fois plus. De plus, près 71 périmètres irrigués ont ainsi été aménagés, incluant des petits et micro-périmètres, bénéficiant à de nouveaux riziculteurs, dont 30 % des agriculteurs les plus pauvres. Les résultats obtenus ont été remarquables, illustrant la capacité d’un projet bien ciblé et bien organisé grâce à une équipe investie et compétente à bouleverser positivement le quotidien des populations. Les rendements rizicoles ont connu une augmentation spectaculaire, passant d’une moyenne inférieure à deux tonnes à plus de cinq tonnes par hectare. Cette transformation agricole a permis de générer annuellement environ 25 000 tonnes de riz, bénéficiant directement à près de 100 000 familles et dépassant leurs besoins alimentaires a permis l’exportation dans les régions adjacentes souffrant des sècheresses et kéré.

L’impact du projet Mandraré ne s’est pas limité à la sécurité alimentaire. L’augmentation de la production a eu des répercussions économiques considérables, se traduisant par une hausse moyenne de 75 % du revenu de chaque famille impliquée. Ce dynamisme a eu un effet d’entraînement, attirant de nouvelles populations vers cette zone de prospérité (+7,5% par année) et stimulant d’autres activités économiques telles que le maraîchage (la production commercialisée d’oignon a plus que triplé pour atteindre 320 tonnes, et celle d’ail a presque doublé pour atteindre 160 tonnes), la culture du Manioc et l’élevage. L’afflux de commerçants et de collecteurs témoigne de la nouvelle centralité de la région dans l’approvisionnement alimentaire du sud malgache. De plus, le projet a favorisé l’introduction de cultures maraîchères en contre-saison, permettant une meilleure valorisation de l’eau et augmentant les revenus des agriculteurs. Les productions d’ail et d’oignon ont notamment connu une croissance significative, la zone devenant reconnue pour leur qualité et attirant des collecteurs/transporteurs.

Cependant, il est essentiel de souligner, comme le mentionnent les sources, que ces succès, bien que significatifs, demeurent fragiles face aux aléas climatiques, notamment les sécheresses prolongées qui pourraient affecter le débit du fleuve et donc les capacités d’irrigation. Néanmoins, le projet Mandraré reste un exemple probant de la manière dont des interventions réfléchies, adaptées aux spécificités locales et axées sur l’écoute des besoins des communautés, peuvent engendrer des changements profonds et améliorer substantiellement les conditions de vie.

Finalement, ce projet financé par 2 prêts (hautement concessionnels, 0,75% par an pendant 40 ans) successifs au Gouvernement Malgache, fut une telle réussite que les investissements réalisés portaient suffisamment de fruits et de nouvelles récoltes, permettant un retour sur investissement en 4 ans seulement, au grand étonnement de plusieurs institutions de développement !

La Gestion des Savoirs : Catalyseur de Succès, de Reconnaissance et de Réplication

Au-delà de ses résultats concrets sur le terrain, le projet Mandraré a également brillé par la qualité de sa gestion des savoirs, un aspect fondamental qui a contribué à sa reconnaissance internationale. En 2015, le projet a remporté un prix prestigieux lors du concours « Feeding knowledge »[4] de l’exposition universelle de Milan, dont le thème était centré sur les questions d’alimentation et d’agriculture. Cette distinction n’est pas le fruit du hasard, mais le résultat d’un effort soutenu pour documenter minutieusement toutes les étapes et les acquis du projet.

L’équipe du projet avait constitué un ensemble de ressources informationnelles exhaustif, comprenant un site internet dédié[5], des rapports détaillés retraçant l’historique, les méthodologies et les impacts du projet, des vidéos et photos illustrant les activités et les témoignages des bénéficiaires. Un livre, « Nourrir la Terre, nourrir les hommes »[6] publié à la clôture du PHBM en 2008 avec les éditions L’Harmattan retraçait le contexte du projet, les problèmes rencontrés, les solutions mises en œuvre et l’impact sur les communautés, y compris la pérennisation des activités grâce aux coopératives agricoles et aux associations locales. Ce livre a été réimprimé à 1000 exemplaires supplémentaires à l’occasion de l’exposition universelle.

Cette richesse documentaire a joué un rôle déterminant à plusieurs niveaux. Premièrement, elle a permis maintenir un compendium d’informations accessibles au grand public sur le projet, ses méthodes techniques et ses résultats accessibles du monde entier en plusieurs langues. Deuxièmement, cette somme d’informations organisée a permis de constituer un dossier de candidature solide pour le concours de l’exposition universelle et facilité la présentation du projet lors de l’événement à Milan, à travers un stand dédié où étaient exposées des photos et diffusées des vidéos. La remise du prix a apporté une fierté nationale à Madagascar et a renforcé la visibilité du pays sur la scène internationale, démontrant le potentiel des collaborations fructueuses entre le gouvernement malgache et des organisations comme le FIDA. Une délégation du gouvernement malgache, incluant des représentants du ministère et de l’ancien projet, a d’ailleurs participé à la cérémonie de remise du prix en Juillet 2015.

Plus significativement encore, la gestion rigoureuse des savoirs a permis une diffusion et une réplication du modèle développé dans le cadre du projet Mandraré. La réimpression du livre et sa traduction en anglais par la maison d’édition CABI (UK)[7] ont permis de toucher un public plus large et d’accroître la portée de l’expérience malgache. L’inclusion de la mention du prix de Milan sur la couverture du livre a également contribué à sa diffusion auprès du public anglophone. Le succès de Mandraré a même inspiré d’autres projets à Madagascar, notamment la création de pôles de surfaces irriguées dans d’autres régions, comme le projet ADM2[8] à Morondava. Cette dissémination du modèle témoigne de la puissance de la documentation et du partage des connaissances dans la promotion de pratiques de développement efficaces et adaptables à différents contextes.

Un aspect crucial de la réussite du projet Mandraré est l’organisation des producteurs en Associations des Usagers de l’Eau (AUE). Ces AUE ont été impliquées dès le début du processus d’aménagement et sont responsables de la gestion et de la maintenance des réseaux hydroagricoles. Le PHBM a joué un rôle essentiel dans la création, la formation et l’appui de ces AUE, les rendant autonomes pour la gestion des périmètres irrigués. Des spécialistes ont été formés au sein de chaque AUE pour assurer une bonne gestion de l’eau, l’entretien des réseaux et l’application des règlements. Le transfert de gérance des périmètres aux AUE, reconnu par le Ministère de l’Agriculture, de l’Elevage et de la Pêche, est un gage de la pérennité des investissements réalisés.

En conclusion, l’histoire du projet Mandraré à Madagascar met en lumière une vérité fondamentale : le succès des projets de développement repose non seulement sur leur conception et leur mise en œuvre via les communautés bénéficiaires, mais aussi sur la capacité à capitaliser et à partager les connaissances acquises. La gestion rigoureuse des savoirs, de la phase de conception à l’évaluation et à la diffusion, est un investissement essentiel qui permet d’assurer la pérennisation des acquis, d’inspirer de nouvelles initiatives et de maximiser l’impact des efforts de développement à une échelle plus vaste. L’exemple de Mandraré nous rappelle que la documentation et le partage des réussites sont des leviers puissants pour un développement mondial plus efficace et durable.

Nathan Bohmert et Benoit Thierry – Mars 2025


[1]https://ioe.ifad.org/fr/w/republic-of-madagascar-upper-mandrare-basin-development-project-phase-2

[2] Kéré : terme malgache qui désigne la famine chronique frappant régulièrement le sud de Madagascar depuis au moins 1896, avec des épisodes particulièrement graves en 1930-1933, dans les années 1990 et récemment en 2021.

[3] https://www.capfida.mg/pi/www.capfida.mg/site/IMG/pdf/Etude_impact_economique_PHBM.pdf

[4] https://capacity4dev.europa.eu/discussions/world-expo-milan-2015-feeding-planet-energy-life-competition-best-development-practices-food-security_en

[5] https://cdn.thierrybenoit.com/phbm/index-2.html

[6] https://www.editions-harmattan.fr/catalogue/livre/nourrir-la-terre-nourrir-les-hommes/47513?srsltid=AfmBOorvVLFH2QUh-41Ldr3arPUr3fBIqfKfF3VeIbXIs-dpjkk6DqYb

[7] https://www.cabidigitallibrary.org/doi/book/10.1079/9781845937393.0000

[8] https://www.ad2m.mg/bienvenue-sur-ad2m/presentation-generale/

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