Article IdealDev – Juin 2023 :
Le 6e rapport du GIEC confirme que les risques climatiques – causés par le réchauffement global qui entraîne l’augmentation et l’intensification des vagues de chaleur, des précipitations irrégulières et des sécheresses récurrentes – sont sans équivoque et sans précédent et concernent toutes les régions du monde. L’augmentation progressive des températures moyennes et du stress hydrique et la modification de la saisonnalité, perturbent le cycle de l’eau, ressource vitale de moins en moins disponible. Ces phénomènes affectent le secteur agricole et exposent les populations à des difficultés en matière d’alimentation et d’approvisionnement en eau. Pour faire face à ces difficultés, il est nécessaire de mettre en place des actions d’adaptation au changement climatique, en complément de mesures d’atténuation[1]. Depuis plus de 50 ans, de nombreux pays touchés par les dérèglements climatiques ont mis au point des techniques intéressantes d’adaptation, qu’IDEALDev appuie dans leur dissémination.
Les pays du Sahel en font partie. Largement touchés par les sécheresses des années 1970, par la pauvreté, l’insécurité alimentaire et par un accès limité aux ressources, le Sahel est l’une des régions du monde les plus vulnérables à ces perturbations et est particulièrement exposée à la désertification et à la dégradation des sols[2]. C’est donc un exemple intéressant pour traiter les sujets évoqués et qui pourront inspirer d’autres régions et communautés du globe.
La réhabilitation des sols
En plus des phénomènes climatiques, la pression démographique ou encore le surpâturage ont aussi une influence très forte et par exemple dénudent les sols de leur couvert végétal. Par conséquent, l’eau des pluies (moins importante sur l’année mais plus ponctuelles et plus fortes), n’ayant plus d’obstacles pour la ralentir, s’écoule le long des bassins-versants causant une forte érosion, ce qui limite la production agricole. De plus, un sol nu et soumis à des sécheresses se durcit et ne permet plus à l’eau de le pénétrer pour recharger les nappes phréatiques.
Afin de faire face à ces contraintes, un ensemble d’activités de réhabilitation des sols a été progressivement mis en place au niveau du producteur agricole. On peut citer deux exemples de méthodes : les demi-lunes et les diguettes mises en place dans la majeure partie des pays Sahélien.
Les demi-lunes creusées dans les sols permettent de retenir l’eau de pluie dans une cuvette et donc de limiter le ruissellement et l’érosion, tout en réhabilitant une surface cultivable.
Les diguettes sont réalisées en terre ou en mélange de terre et de cailloux et aménagées en courbe de niveau. Elles permettent de ralentir l’eau pour qu’elle puisse pénétrer le sol. De plus, les sédiments qui sont transportés par l’eau s’accumulent contre la diguette en formant progressivement des terrasses dont la qualité des sols est intéressante.
Ces techniques-là ont été appliquées sur des milliers d’hectares, dans près d’une dizaine de pays du Sahel depuis une quarantaine d’années, et ont un fort impact positif sur la production agricole, même quand les pluies ont diminué.
Gestion quantitative de l’eau
La majeure partie des rivières a vu son régime hydraulique changer. En effet, l’eau des pluies (moins importante sur l’année mais plus ponctuelles et plus fortes) provoque des crues plus irrégulières et plus intenses. Ainsi, beaucoup de systèmes de culture traditionnels ne fonctionnent plus (notamment les cultures de décrue et de plein champ).
Pour pallier cela, les meilleures techniques qui ont été mises au point sont les barrages. On peut citer deux exemples de méthodes : les petits barrages communautaires (collinaires ou au fil de l’eau), les barrages souterrains, le bouli ou encore les barrages au fil de l’eau.
On parle notamment de « petits barrages communautaires » (initiés au Burkina Faso et étendus à tout le Sahel), pour de petites structures réalisées en surface à 2-3 mètres de hauteur avec des gabions et des petits déversoirs. Les gabions retiennent les sédiments et ralentissent petit à petit le flux d’eau pour permettre à cette ressource de pénétrer les sols et donc de remplir les nappes phréatiques. Cette technique est intéressante mais rend l’eau du réservoir sujette à l’évaporation.
Une seconde technique peut alors être mise en place : les barrages souterrains avec un noyau d’argile a 3-4 mètres de profondeur permettant de retenir les flux d’eau souterrains pour recharger la nappe et la faire remonter. A la suite de la mise en place de ces barrages, des séries de puits (d’eau domestique, d’eau pour le maraîchage ou pour l’élevage) ont été construites tout autour de ces infrastructures par les communautés et ont permis de constater l’efficacité de ces méthodes dans la recharge et la remontée du niveau des nappes qui augmente la ressource hydrique et facilite l’exhaure.
Il existe aussi des techniques traditionnelles parmi lesquelles le « bouli » au Burkina qui consiste à recueillir les eaux de ruissellement dans de grandes mares creusées le long d’un passage d’eau et qui se remplissent sur 3-4 mètres de profondeur. Ainsi, l’eau ne s’évapore pas complètement au cours de la saison sèche (2 mètres d’évaporation annuelle sous ces latitudes), avec l’aide de la plantation de rideaux d’arbres tout autour. Il existe d’ailleurs de nombreuses autres techniques impliquant les végétaux (haies antiérosives, agroforesterie) qui sont très efficaces notamment pour diminuer l’érosion.
Enfin, les barrages au fil de l’eau (Mali) sont des sortes de radiers submersibles au fond des rivières. Lors de la saison des pluies le radier est submergé, et à la saison sèche, le radier retient sur toute sa hauteur (2-4 mètres) une lame d’eau sur tout le profil de la rivière/oued/marigot. Selon la pente de ce profil, la réserve d’eau peut s’étendre sur une dizaine de kilomètres et être disponible jusqu’à la prochaine saison des pluies. Ces barrages ont les mêmes impacts positifs que les précédents, procurant une eau de surface abondante permettant l’irrigation maraîchère et l’abreuvement du bétail. Ils permettent enfin la remontée des nappes phréatiques et le creusement de puits donnant une eau potable de qualité.
Toutes ces techniques qui ont été pratiquées au Sahel durant les dernières décennies se sont montrées efficaces puisqu’elles ont notamment permis à des communautés de relancer leur activité agricole. Cependant, elles doivent être encore mises à l’échelle au niveau national et dans davantage de pays.
Cela pourrait par exemple s’inscrire dans le cadre de l’initiative de la Grande Muraille verte pour le Sahara et le Sahel[3], visant à lutter contre la dégradation des terres et la pauvreté, notamment par la restauration et la gestion durable des terres. et le renforcement de systèmes agro-sylvo-pastoraux adaptés aux contraintes actuelles. Toutefois, ces techniques ne sont pas propres à la région sahélienne et pourraient tout à fait être appliquées à d’autres continents, en Asie ou en Amérique latine, ainsi qu’en Europe où l’on subit de plus en plus les impacts du changement climatique pour lequel chacune des régions du monde doit s’engager à la fois dans des actions d’atténuation mais aussi d’adaptation.
Juin 2023
Par Benoit Thierry – Directeur IdealDev, agence internationale en appui au développement rural et aux collectivités locales, 75010 Paris, https://idealdev.org/
Et Lydia Ailane, Consultante, Ingénieure agro-développement international ISTOM, 69000 Lyon, France
[1] FAO. 2022. FAO Strategy on Climate Change 2022–2031. Rome. https://www.fao.org/3/cc2274en/cc2274en.pdf
[2] Groupe de la Banque Mondiale. 2022. Rapport national sur le Climat et le Développement. Région du G5 Sahel. https://www.coalition-sahel.org/wp-content/uploads/2023/04/Sahel-CCDR_REPORT_FINAL_FR_20230210-1-1.pdf
[3] UNCCD. 2020. La Grande Muraille verte : Etat de mise en œuvre et perspectives à l’orée 2030. https://catalogue.unccd.int/1551_Revised_French_Final_040920.pdf