Création d’emplois, services d’appui aux Micro-Entreprises rurales.
Expériences Afrique Centrale, Océan Indien et Asie du Sud.
1/ Rwanda – Projet pour la Promotion des Petites et Micro Entreprises Rurales: PPPMER
2/ Madagascar – Programme de Soutien aux Pôles de Micro-Enterprise Rurales et aux Economies Régionales: PROSPERER
3/ Nepal – Rural Enterprises and Remittances Project: SAMREDHI
4/ Senegal- Projet d’Appui à l’insertion des Jeunes Ruraux Agripreneurs: AGRIJEUNES
TITRE : La professionnalisation des micro entreprises rurales comme levier de la résilience des territoires ?
Article IdealDev Mars 2023 :
Notre Terre comptant maintenant plus de huit milliards d’habitants, l’internationalisation du système alimentaire, la spécialisation agricole à grande échelle, l’interdépendance des régions génèrent de nombreuses opportunités mais aussi menaces et vulnérabilités. Cependant, la mondialisation n’a pas (encore) tout absorbé des civilisations rurales et spécificités locales ; il reste en effet bon nombre de métiers, de micro ou petites entreprises (MPE) qui servent l’agriculture familiale “(90% des fermes dans le monde, soit à peu près 500 Millions de ménages (ONU, 2018) représentants plus de 2 milliards de personnes). « De nombreux métiers périphériques à l’agriculture se sont structurés depuis toujours autour du stockage, de la transformation, du recyclage, de la vente et du commerce, créant ainsi de la valeur ajoutée et contribuant aux revenus ruraux », nous explique Benoit Thierry.
Ces micro-entreprises rurales, présentes dans tous les secteurs, fournissent des biens, des services, et des emplois et apportent un meilleur revenu a l’agriculture familiale. Elles participent résolument à conserver un équilibre qui a toujours servi la résilience des sociétés et l’autonomie de leurs territoires.
Cependant, leurs caractéristiques et les nombreuses contraintes auxquelles elles sont constamment assujetties et confrontées, menacent fréquemment leur pérennité. Dans les pays dit “des Suds” et notamment dans plusieurs pays d’Afrique de l’Ouest, d’Asie ou de l’Océan Indien, celles-ci affichent des handicaps structurels communs récurrents. Ces derniers résident particulièrement dans la gestion quotidienne et comptable, peu ou pas existante et souvent considérée comme “informelle”. De plus, elles reposent souvent sur des technologies obsolètes induisant des coûts de production élevés, des difficultés d’accès aux marchés et une concurrence intense (JL. Camilleri, 2006).
C’est pourquoi, depuis une cinquantaine d’années, de nombreux pays, de gouvernements et autres Institutions, se sont penchés sur les questions d’appui aux petites entreprises rurales avec l’objectif, de maintenir les populations en milieu rural grâce à des activités rémunératrices et donc in fine, lutter contre la pauvreté.
Depuis 2010, du fait de l’accroissement démographique mondial, la proportion des citadins a surpassé celle des ruraux ; cette tendance devrait atteindre près de 70% en 2050 (FAO,2020). « Cependant, on comptera également plus d’habitants en milieu rural qu’aujourd’hui et donc plus de bouches à nourrir, plus de familles qui devront trouver une activité pour s’enrichir ou tout simplement (sur)vivre » (B. Thierry, 2023). C’est pourquoi, selon JL. Camilleri « le développement d’un tissu économique dans les villages, visant à diversifier et transformer les produits agricoles ainsi que l’offre de services sont indispensables au développement économique » .
Ceci étant, avant les années 2000, on a constaté un nombre important d ’initiatives infructueuses dans maints pays ayant tenté des politiques et des stratégies d’appui aux entreprises rurales. A titre d’exemple, on peut citer quelques projets d ’envergure destinés à réimplanter l’industrie en milieu rural (éléphants blancs), divers programmes visant à mettre en place les “déflatés (licenciés) de la fonction publique”, tels que d’anciens fonctionnaires et soldats démobilisés ou cadres sans-emplois… Malgré les terres qui leur ont été attribuées et l’accompagnement prodigué, pour la plupart, ces derniers n’ont pas réussi à s’adapter au mode de vie, aux us et coutumes de la campagne et sont retournés chômer en ville. Ce développement exogène a été globalement un échec.
Suite à ce fiasco, d’autres expériences ont été imaginées, reposant à l’inverse sur une volonté de développement endogène. Dans ce sens, le parti pris a été de soutenir et d’accompagner “celui et celle qui propose une initiative, un projet” et/ou qui a déjà entrepris, « car ceux là connaissent intimement la signification de la production, de la transformation, de la commercialisation et leurs aléas et sont prêts à aller plus loin ». (B.Thierry)
Afin d’illustrer cette tentative, les différents projets présentés ci-après s’attacheront à valoriser l’individu, le groupement ou la collectivité ayant fait montre d’inspiration pour imaginer des activités génératrices de revenus et de plus-value sociale et/ou qui ont fait la démarche de solliciter un appui à la création d’entreprise.
Sur ce dernier point, il est utile de rappeler au préalable que deux modes d’accompagnement sont proposés. La première approche est de type “descendante”. Dans ce cas, les instances gouvernementales mettent en place un cadre et une stratégie nationale, avec des plans d’actions concrets pour la promotion d’activités en multi partenariats telles que la mise en place des guichets uniques” au niveau local. Calqués sur des modèles existants dans les grandes zones industrielles périurbaines, les “guichets uniques” sont des lieux installés au sein des territoires ruraux où les entrepreneurs actifs ou futurs ont accès à une diversité de services administratifs, financiers, logistiques au sein d’un même lieu afin de rendre plus efficaces les démarches administratives souvent complexes… Dédiés au soutien des micros et petites entreprises, ces guichets sont liés aux chambres de commerces et d’industries, à certains organismes publics, paritaires ou privés. Cette approche multi partenariale est intéressante car elle crée un réseau qui connecte l’entreprise à son écosystème notamment économique et favorise l’échange de savoirs, savoirs faire et compétences.
Sur l’île de Madagascar par exemple, le projet “PROSPERER” conduit par le Ministère de l’Agriculture et de l’Elevage, s’est concentrée sur l’augmentation des revenus par le renforcement des micro-entreprises rurales dans neuf régions déterminées (80% de la population de l’ile). Le projet qui a démarré en 2008 a été mené par la Fédération des Chambres de Commerce et d’Industrie de Madagascar (FCCIM) à travers son réseau de Chambres de Commerce et d’Industrie Régionales (CCI). Entre 2008 et 2019, ce programme a permis à près de 89.000 micro-entreprises d’accéder à des services d’appui et in fine, de créer plus de 56.000 nouveaux emplois. Au niveau des clusters de professionnalisation, ce sont 494 organisations ou groupements de producteurs qui ont noué des partenariats/accords formels ou des contrats avec des organismes publics ou privés ; et enfin près de 11.000 producteurs ont pu accéder à des techniques et/ou du matériel innovant (JL. Camillieri. 2022). Ce projet à été financé grâce à un prêt des Nations Unies (FIDA).
Pour Benoît Thierry, « l’esprit et le but “ultime” du projet PROSPERER est de parvenir à créer des fédérations professionnelles par filière et par types de produits afin d’organiser et de stabiliser le continuum agriculture/valeur ajoutée des entreprises de façon pérenne dès la fin de l’accompagnent ». Historiquement, les territoires et villages Malgaches se sont spécialisés dans des activités bien distinctes et circonscrites (villages de forgerons, tisseurs de soie, producteurs d’une culture spécifique…). L’un des objectifs du projet PROSPERER était, en s’appuyant sur les dynamiques existantes, en renforçant et en modernisant les activités, de créer un réseau/tissu d’interactions positives entre ces différents villages ou territoires spécialisés (B. Thierry. 2023). A titre d’exemple, grâce à l’appui de l’Union des Coopératives traduit par le financement d’un local de stockage pour la production de « baies roses », la région agricole de Bongolava, au centre de l’Île, est largement réputée aujourd’hui dans cette filière. Nombreux sont les producteurs et les opérateurs qui investissent dans cette filière horticole, classée « filière phare » de la région. On retrouve le même schéma vertueux pour la production de tomates, dans les régions d’Itasy et d’Analamanga.
D’autres types d’activités artisanales sont aussi accompagnées. C’est le cas de la transformation de la fibre de sisal issue de l’Agave Sisalana, plante spontanée locale, ancestralement travaillée dans le village de Mankasina. La population villageoise largement impliquée dans la sa production et sa transformation en chapeaux ou en paniers en tirait un petit revenu lui permettant, bon an mal an, de “vivoter”. Très peu organisée, et sans concertation entre producteurs et transformateurs, l’activité manquait de structuration et d’efficience ; par exemple, l’achat de matière première était généralement effectué sur le marché local uniquement par les villageois ayant une capacité d’investissement ; La production, en amont, réalisée sans tenir compte (parce que méconnue) de la demande…
Le projet PROSPERER s’appuyant sur les savoirs et savoirs faire locaux a proposé une formation technique permettant notamment une meilleure maîtrise des pratiques culturales et des modalités de gestion commerciale de l’activité. Outre le renforcement de la dynamique locale existante, elle a permis la rencontre des différents acteurs agissant sur le terrain, l’échange et la complémentarité des compétences et globalement une efficience croissante de la filière. Cet accompagnement a motivé et impulsé la création de l’association villageoise “TARETRA” et dans la foulée, la mise en place d’une plantation in situ, entraînant une offre d’emploi non délocalisable et de façon connexe, des revenus décents pour la communauté.
Mr Rasolonary, entrepreneur à Mankasina, bénéficiaire de la formation et de l’accompagnement dans le cadre de PROSPERER et enfin, actuel représentant de TARETRA témoigne : “ La formation qui a pris en compte les réalités locales et valorisé nos savoirs faire nous a été d’une grande utilité ; en terme de marketing, ou et même d’entreprenariat, nous n’avions aucun prérequis. En fait, nous n’avions pas conscience que nous étions déjà pour partie des entrepreneurs”.
Au Sénégal, avec l’avènement du Programme d’Appui au Développement Agricole et à l’Entreprenariat Rural (PADAER), une plateforme multi partenariale a été créé afin de rassembler tous les acteurs de la filière du Fonio (Digitaria exilis), graminée originaire de l’Afrique de l’Ouest. De réels progrès ont été enregistrés dans les différentes phases de la transformation, grâce entre autres à des équipements appropriés réduisant du même coup la pénibilité des opérations : nettoyage, tri, packaging ont été largement améliorés, créant ainsi une valeur ajoutée plus importante notamment en terme de commercialisation. En effet, les produits sont maintenant écoulés sur le marché national ou exportés en Europe ou en Amérique auprès de la Diaspora Africaine. D’autres filières bénéficient de ces inter-professions.
Sur un autre contient cette fois ci, le gouvernement Népalais a mis en œuvre, de 2003 à 2016, le projet WUPAP (Western Uplands Poverty Alleviation Project) avec comme objectif majeur, le désenclavement de l’Ouest du pays. Les infrastructures routières étant presque inexistantes, il s’est agi de renforcer la capacité de 115 000 ménages à mobiliser leurs propres ressources, à accéder à des ressources externes et à « vivre leur vie dans la dignité » (FIDA. 2017). Depuis 2016, le programme « SAMREDHI » à pris la suite, mais cette fois ci, à l’échelle nationale en soutien aux entreprises rurales. et en soutenant aussi les nombreux migrants de retour au pays en provenance des Emirats ou de l’Asie du Sud Est.
Pour ce faire, des approches ciblées et adaptées aux différents contextes concernés ont été mises en œuvre. Pour le premier point, la contractualisation par l’intermédiaire de baux permettant l’acquisition de terres et d’espaces forestiers, un accès équitable aux ressources naturelles aux femmes et aux populations sans terre, a permis d’augmenter in situ la production de cultures fourragères et d’entreprendre la production de PFNL (produits forestiers non ligneux). Pour le second point, afin de désenclaver les différents territoires et améliorer les infrastructures routières, des antennes de télécommunications ont été installées ainsi que des équipements téléphoniques mobiles pour les principaux acteurs de la filière (acheteurs et producteurs). Ainsi, aujourd’hui, grâce à l’amélioration des différents moyens de communications, un centre de collecte a été aménagé. De façon corollaire, les prix des denrées se sont homogénéisés devenant en même temps plus attractifs pour les producteurs. “Dans le passé, nous devions traverser de nombreux villages sur plusieurs jours pour nous rendre sur les différents marchés et durant ce temps, les prix continuaient d’évoluer et certaine fois, il ne devenait plus intéressant de vendre nos productions à ce moment-là ; mais grâce à ces moyens de communications et la facilitation d’installation, le commerce d’herbes aromatiques a pu se pérenniser et bénéficier à l’ensemble de la communauté” témoigne un usager.
Une autre approche dite “ascendante” (souvent concomitante et complémentaire décrite ci-dessus), se focalise quant à elle directement sur de petits entrepreneurs locaux par un accompagnement personnalisé de “Business development services”. Elle consistera principalement à dialoguer avec l’entrepreneur concerné pour comprendre son activité et diagnostiquer les points de blocages et les freins empêchant le développement de l’entreprise. Une fois ceux-ci identifiés, des solutions de différents ordres telles que la proposition de crédit pour achat de matériel, la réalisation de formations diverses (comptabilité, gestion, technique) seront proposées et financées pour partie par les différents organismes.
Dans ce dispositif d’accompagnement, l’entrepreneur « à droit” au financement de trois de ces différents services. Les conseillers et animateurs assurent le lien entre les bénéficiaires et le projet en déterminant les besoins de chacun de ces micro-entrepreneurs. Dans le cadre du projet PROSPERER à Madagascar, abordé ci-dessus, Mr Rakotoarison, conseiller d’entreprise junior indique ceci : “On identifie les problèmes auxquels fait face l’entrepreneur dans ses activités ainsi que ses besoins par rapport au programme ; En effet, les micros-entrepreneurs ne font pas le pas d’emprunter par méconnaissance des possibles, et se contentent uniquement de fonds propres. Leur capacité financière étant souvent très contrainte, le développement de leur activité est très limité ». Dans une optique de professionnalisation, les animateurs et conseillers leur fournissent donc des conseils pratiques quant à l’élaboration de business plan (plans d’affaires sur 3 ans) qui pourront être ensuite soumis à des organismes de crédit ou de microfinancement. Trois milles business plan ont été réalisés dans le cadre du projet PROSPERER.
Enfin, avec l’explosion démographique actuelle, un autre enjeu clé du développement du micro entreprenariat en milieu rural réside dans la formation et l’emploi de la jeunesse. Il y a actuellement d’énormes cohortes de jeunes, souvent sans formation, qui arrivent chaque année sur le marché du travail. C’est particulièrement le cas en Afrique, (41 % de la population a moins de 15 ans, et l’âge médian se situe autour de 18 ans) (FAO Stat, 2020) où, en moyenne, pour un pays comptant une cinquantaine de million d’habitants, 200 à 400 milles jeunes chaque année essaient d’entrer sur le marché du travail.
Au Rwanda, dans le cadre du PPPMER -Projet pour la Promotion des Petites et Micro-Entreprises Rurales – conçu dans les années 90, l’appui à la formation professionnelle des jeunes a été considérée comme priorité majeure. Ainsi, ce sont ainsi près de 37 000 jeunes par année qui ont été formés grâce aux programmes d’apprentissage. Les hôtes, entreprises d’accueil ou entrepreneurs, ont été été invités à ne pas utiliser l’apprentissage “traditionnel” long, mais plutôt à privilégier les formations courtes (apprentissage sur quatre mois). Les jeunes et tuteurs d’entreprises ont été indemnisés pour adopter ce format de formation dont l’objectif résidait dans l’apprentissage rapide et efficace des différents métiers. En fin de parcours, les apprentis futurs entrepreneurs ont bénéficié de surcroît d’un petit kit d’installation dans leur domaine d’activité. L’initiative a été une réussite et les enquêtes d’impact ont démontré que 65% des apprentis ont été recrutés dans leurs entreprises de formation, les autres sont retournés au village et ont monté leur propre entreprise. Il y a donc une priorité dans le développement de systèmes massifs de formations professionnelles à l’échelle nationale. Ces systèmes dont les coûts sont d’ailleurs relativement modestes par rapport à des formations longues réalisées au sein de l’enseignement classique pourraient être imaginés et reproduits à plus grande échelle par les gouvernements en complément de l’école universelle pour l’acquisition des compétences clés et savoirs de base qui reste indispensable.
En conclusion, la multiplicité de ces métiers ruraux, leur nombre et leur diversité ainsi que le rôle fédérateur qu’ils ont dans les sociétés sont donc indispensables à l’amélioration des conditions de vie décentes en milieu rural comme à l’acquisition d’un statut reconnu dans le monde du travail. L’augmentation des revenus relevée auprès des microentreprises soutenues – induite entre autres par la modernisation de leur mode de gestion – sont très significatives ; « elle valide le constat que les projets d’appui et d’accompagnement des micro entreprises rurales ont un retour sur investissement réel au vu notamment des ratios d’enrichissement des populations bénéficiant de ces dispositifs d’aide au développement. (JL. Camilleri. 2022) »
Ainsi les familles rurales pauvres peuvent monter d’un échelon à l’autre sur l’échelle des revenus et passer de leur situation d’ultra pauvres (moins de 2 Euros per capita par jour), a moins pauvres (3 Euros) et une relative aisance (au dessus de 5-10 Euros par jour) ce qui rejoint l’un des but ultimes des Nations Unies, l’éradication de la pauvreté dans ses objectifs de développement 2030
« Globalement cet appui aux entreprises rurales fait partie de l’autonomisation et de la résilience du territoire, de l’amélioration de l’agriculture mais donne du sens à l’ensemble du développement rural en permettant à des familles de continuer à vivre dans leurs villages en échappant à la migration et d’offrir un emploi décent aux générations futures. (B. Thierry. 2023) »
Mars 2023
Par Benoit Thierry – Directeur IdealDev, agence internationale en appui au développement rural et aux collectivités locales, 75010 Paris
Et Camille Briel, Consultant, Ingénieur agro-économiste, 38160 St Pierre de Cherennes